Pr Noël Bertrand BOUNDZANGA

Pr Noël Bertrand BOUNDZANGA : l’université gabonaise en quête de restauration

LA rumeur publique reproche tant de choses à l’université et d’aucuns se prennent pour des génies parce que, pensent-ils, la critique de l’université est devenue une capacité. Si la dénonciation de l’université est maintenant un lieu commun, ses procureurs font plus de bruit, la sanctionnant, hâtivement, sans lui trouver le moindre remède parce que, pense-t-on, et à juste titre, les universitaires peuvent et doivent trouver les solutions aux problèmes qui gangrènent l’université gabonaise aussi bien qu’ils sont sommés d’éclairer l’opinion publique sur la vie de la Nation.

En ces temps de transition, que nous est-il permis d’espérer ? On a dit ou fait du clerc gabonais un invisible monumental sinon un médiocre corrompu, parce que nombre d’universitaires ont accompagné l’imposture à la tête de l’État depuis 2018, salué les crimes postélectoraux en 2016 et se sont pliés face à la parodie de démocratie en 2009 pour s’aplatir devant un régime dynastique, de surcroît infécond. Pendant qu’on incriminait ainsi le clerc, ils étaient pourtant nombreux à soutenir la République, la démocratie et la modernité. Ainsi raisonnent les noms de Jean Rémi Yama, John Nambo, Anaclet Bissielo et Albert Ondo Ossa récemment. Tout ceci fait dire qu’on a souvent perdu le sens de la nuance. Mais pendant ce temps aussi, plusieurs universitaires allongeaient leurs crayons, parce qu’on ne fait pas la science à un niveau international sans les grades universitaires. C’est une compétition de haut niveau, et mon collègue Giscard Assoumou Ella, agrégé d’économie, dont les travaux ont été salués en Turquie, par exemple, sait de quoi cela retourne.

En une dizaine d’années, l’université gabonaise a épaissi sa masse critique. L’activité universitaire n’a jamais été aussi dense que ces dix dernières années. En Faculté de Lettres et Sciences humaines, comme en Faculté de Droit et Sciences économiques, des colloques internationaux et des journées d’études ont été organisés presque dans tous les départements. L’université a produit de nouveaux docteurs comme elle a inscrit de nombreux enseignants aux grades les plus élevés dans le système d’évaluation panafricain, le Cames. Et que dire encore ? De nouvelles formations sont ouvertes en géographie, en économie, en lettres, en histoire, en anthropologie, notamment pour adapter l’offre de formation au marché du travail sans faire de l’université un grand centre de formation professionnelle. Mais voici le paradoxe : alors que les Enseignants-Chercheurs progressent dans leurs carrières, les institutions universitaires prennent de l’eau. Il n’y a pas eu que de mauvais recteurs et de la mauvaise gestion. L’État est aussi responsable de cette situation.

La réduction drastique des budgets, les retards des décaissements, l’obsolescence et le nanisme des infrastructures n’ont pas aidé à épargner l’université du déclin général qui sévissait dans la société gabonaise. La drainant vers une autonomie légitime et l’obligeant à adapter ses offres de formation par rapport au marché de l’emploi, la puissance publique a inscrit l’université dans un régime économique complexe lui demandant d’accroître ses recettes propres, alors que, parallèlement, un programme de la tutelle, c’est-à-dire du ministère de l’Enseignement supérieur, organisait par le biais du SOSUP, les orientations des étudiants vers les différents établissements d’enseignement supérieur privés. Avec la mise en place du Secrétariat d’orientation scolaire, universitaire et professionnelle (SOSUP), le projet consistait à réduire le nombre d’étudiants de l’université publique au profit des établissements privés, déplumant ainsi l’université à laquelle il était prescrit d’augmenter ses recettes propres, alors que les frais d’inscription constituent une part essentielle de son budget. On en a beaucoup dit sur l’université, mais on s’est aussi énormément trompé.

Aujourd’hui, l’image de l’université gabonaise publique est écornée, principalement parce que l’institution n’est plus capable de stabiliser son calendrier universitaire, et son impact est catastrophique aussi bien pour la qualité de la formation que pour les étudiants et les enseignants. Pire, il n’y a pas qu’Ali Bongo Ondimba qui a dit que l’Université Omar-Bongo formait des chômeurs, même son ancien ministre de l’Enseignement supérieur, Pr Patrick Mouguiama Daouda, a osé dire que l’UOB formait des chômeurs. Et dans ce cumul de handicaps, se sont ajoutées des grèves à répétition. Les grèves des étudiants ont souvent été des faits exogènes dont la source est, principalement, l’Agence nationale des bourses du Gabon (ANBG). Mais, comme théâtre des opérations, l’UOB en paie le prix fort.

Il est important de revenir sur l’accusation selon laquelle l’Université forme des chômeurs. D’abord, il n’y a pas de statistiques à cet égard, et le procès peut donc paraître infondé. Ensuite, le taux de chômage au Gabon est tel que même les étudiants sortis des écoles de commerce peinent à trouver un emploi. Cela signifie que notre économie n’est pas dynamique, qu’elle ne crée pas d’emplois et que le problème est moins la nature des formations que la capacité d’une économie à générer des facteurs propices à la création d’emplois. Et cela dépend des politiques économiques nationales, non de l’enseignant de l’université. Si l’on met à l'index les formations littéraires, le procès pourrait paraître recevable intuitivement. Mais là encore, le marché de l’emploi pourrait être relancé par un puissant champ littéraire et culturel si les maisons d’édition, les librairies, les bibliothèques, les concours littéraires pouvaient capter l’attention des puissances publiques. Le problème est que l’économie de rente, fondée sur l’extraction du pétrole et des matières premières, ruine tout essor d’une économie de la culture.

Il suffit de voir le sort réservé à la bibliothèque nationale pour se faire une idée à ce propos. Et tout le monde aura constaté que même l’État et les municipalités ne possèdent ni centres culturels, ni bibliothèques, ni cinémas, etc. Pas plus qu’ils n’instituent des concours et des récompenses dans ce secteur. Les actions épisodiques, comme celles organisées par le ministre de la Culture en faveur des artistes, sont insignifiantes dans un pays qui veut créer et structurer une économie de la culture. Et les investisseurs privés peinent à y trouver un confort financier, tant la culture ambiante est à la massification de l’inculture. Pour revenir à la question calendaire, il y a, peut-être, un choix à opérer.

Plutôt que de décréter une année blanche qui fait peur à tout le monde, il faut engager les Enseignants-Chercheurs, les syndicats des enseignants, l’ANBG, les services financiers de l’État et les administrateurs universitaires dans un pacte de gouvernance commun devant définir les engagements de tous les partenaires et le devoir de les respecter dans un temps court. Parce qu’il faut sortir de la superposition des années universitaires et une année peut suffire pour un tel pacte. Étudiants et Enseignants-Chercheurs sont les premières victimes de ce désordre calendaire. Non seulement ils perdent leurs vacances, mais en plus, et c’est le plus grave, apprenants et Enseignants-Chercheurs étudient et travaillent dans une hystérie collective qui rend même inefficaces les enseignements dispensés. Les programmes ne sont pas respectés, les semestres sont de courte durée et cela dure depuis trop longtemps. Sans fermeté ni vision claire, le désordre va continuer. La baisse du niveau des étudiants vient aussi de là, mais pas que. En réalité, il vient d’abord de l’enseignement du second degré.

En effet, les nouveaux bacheliers arrivent avec des handicaps trop importants pour espérer les redresser dans un système LMD qui accorde plus d’autonomie à des étudiants handicapés. Y a-t-il nécessité de faire contrôler et valider les formations du premier et du second degré par des universitaires ? C’est une piste à prendre au sérieux si le ministère de l’Éducation nationale n’est pas en mesure de s’assurer que la formation des élèves est conforme au niveau requis. Il faut prendre des décisions pour restaurer l’université et l’Éducation nationale…

L’intégrité scientifique du baccalauréat est sujette à caution… Restaurer l’université, c’est rebâtir un environnement rationnel où des logiques sont éprouvées sur toute la planète et qui font de l’université le lieu où l’esprit brille, où l’on forme au patriotisme et à l’amour du travail ; où le mérite est sacré, pour que la société gagne toujours en intégrité, parce que seul le mérite rend la société dynamique et résistante aux fluctuations. Restaurer l’université, c’est restaurer son calendrier et ses finances, mais la réponse est transversale et nul ne l’ignore.

* Enseignant-chercheur à l’Université Omar-Bongo (UOB), maître de Conférences en Littérature africaine francophone, écrivain

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