Docteur Thierry ELLA ONDO*

Décentralisation et aménagement du territoire : des remèdes pour un Gabon fortement inégalitaire ?

EN prenant le pouvoir au Gabon le 30 août 2023, les Forces de défense et de sécurité (FDS) réunies au sein du Comité pour la transition et la restauration des institutions (CTRI) héritaient d’un pays fortement inégalitaire. Outre les réformes annoncées le lundi 4 septembre 2023, les autorités de la Transition pourront aussi mener des politiques de décentralisation et d’aménagement du territoire plus volontaristes pour apporter des réponses à la problématique territoriale actuelle " Libreville et le désert gabonais " en paraphrasant le titre du livre de Jean-François Gravier (1 944) " Paris et le désert français " à cause de sa similitude à celle de la France à cette époque. Le gouvernement devra chercher à réduire ce déséquilibre par des politiques de décentralisation et d’aménagement du territoire.

En effet, la décentralisation est le transfert des compétences et des moyens de l’État aux collectivités locales placées sous sa tutelle. L’aménagement du territoire apporte des réponses aux inégalités dans le respect du principe constitutionnel d’égalité. Ce principe d’égalité se rapporte à l’expression " aménagement équilibré ou harmonieux du territoire " qui reste cependant contestable du fait de la difficulté " d’égaliser le territoire ". De ce fait, nous préférons l’expression " aménagement équitable du territoire " qui est réalisable et découle de " l’équité territoriale " qui peut permettre à chaque localité de disposer d’une chance de développement adapté aux spécificités locales. Mais l’aménagement et la décentralisation s’opposaient à l’origine. Puis progressivement, la décentralisation commençait à puiser ses justifications dans divers domaines. L’aménagement du territoire s’exécutait autrefois dans un contexte de centralisme politique et administratif. Mais la contestation actuelle de l’État unitaire et centralisé a contribué à la promotion de la décentralisation. Aujourd’hui, la décentralisation et l’aménagement ne s’opposent plus : la décentralisation est un moyen, l’aménagement une fin car il doit permettre une meilleure répartition des hommes, des activités et des services sur le territoire national.

Au Gabon, l’expérience décentralisatrice est séquentielle. Son Acte I couvre la période coloniale jusqu’aux années 1990. L’Acte II de la relance de la décentralisation se traduit par la prise de la loi n° 15/96 du 6 juin 1996 relative à la décentralisation et de la loi n° 14/96 du 15 avril 1996 portant réorganisation du territoire. Mais l’Acte I de l’aménagement du territoire se manifeste surtout par l’abandon de la planification économique au profit des instruments de pilotage à vue. L’Acte II de la relance de l’aménagement du territoire se singularise par la résurgence de la planification et de la programmation de l’économie. L’étude prospective Gabon 2 025 prévoyait de faire du Gabon un modèle de démocratie et de développement et avait permis la prise de la loi n° 21/2 005 du 10 janvier 2006 portant loi d’orientation de la stratégie de développement économique et social (LOSDES) qui décline les stratégies d’aménagement. Le Commissariat général à l’aménagement du territoire (CGAT) est érigé en ministère de l’Aménagement du territoire en 2002. Ces Actes II de la relance de la décentralisation et de l’aménagement du territoire avaient été contrariés par la non-application des stratégies d’aménagement prévues dans la LOSDES, le rattachement de l’Aménagement du territoire au ministère des Travaux publics en octobre 2009 et l’application partielle de la loi de 1996 relative à la décentralisation.

La prise de la loi n° 001/2 014 du 15 juin 2015 relative à la décentralisation, l’application des stratégies d’aménagement du territoire de la LOSDES et la création en juin 2019 du ministère de la Décentralisation, de la Cohésion et du Développement des territoires consacrent l’Acte III de la consolidation de la décentralisation et de l’aménagement du territoire. Ce ministère disposait d’attributions garantissant l’intérêt général, l’égalité des chances et la complémentarité entre la décentralisation et l’aménagement.

La volonté des autorités de la Transition et la mobilisation des ressources publiques peuvent permettre de poursuivre les réformes de la décentralisation et d’aménagement du territoire. Quelques textes d’application de la loi n° 001/2 014 du 15 juin 2015 relative à la décentralisation sont déjà pris : le décret n° 304/PR/MDCDT du 14 août 2020 relatif aux organes de la décentralisation et la loi n° 028/2 020 du 24 décembre 2020 fixant les modalités de transfert des compétences de l’État aux collectivités locales. Les organes de la décentralisation participeront à l’identification des compétences à transférer et à l’évaluation des moyens liés audit transfert des compétences. Cette réforme aboutira par le transfert effectif des compétences et des moyens de l’État aux collectivités locales, la mise en place de la Fonction publique locale et le passage de la décentralisation administrative et politique actuelle à une décentralisation visant le développement. Nos collectivités locales élaboreront les plans locaux et en déduiront une planification des actions et une programmation des investissements locaux. La décentralisation sera ainsi une affaire de structures (collectivités locales), de moyens financiers (leur autonomie financière), de moyens humains (règles communes de recrutement et de gestion des personnels locaux) et une affaire de développement. La réforme de l’aménagement du territoire tient compte de la décentralisation de l’action publique.

Avec la décentralisation, de nouveaux acteurs reçoivent des compétences et participent au développement et à l’aménagement du territoire. Les politiques d’aménagement du territoire résolument tournées vers le modèle de développement local accorderont une grande place au local et deviendront de nouveaux modèles pour des politiques d’aménagement réformées. Ces nouvelles politiques font de l’appui à la compétitivité des territoires. Elles se traduiront par la poursuite de nouveaux objectifs (le développement local, le développement durable), des périmètres plus pertinents pour son action (les territoires de projets), et des formes d’action mieux adaptées aux enjeux et défis actuels (la contractualisation, le partenariat).

Ces politiques d’aménagement du territoire réformées viseront la restructuration de l’espace national afin de dessiner l’image de notre pays à un horizon lointain et proposer un découpage territorial pertinent en matière d’aménagement du territoire. Elles développeront des synergies des politiques de décentralisation et d’aménagement du territoire et celle des actions des pouvoirs publics et des opérateurs privés. Elles permettront aussi l’actualisation et l’adaptation du cadre institutionnel et financier de la politique publique.

Docteur Thierry ELLA ONDO Directeur général de l’Appui à l’Action locale (ex-ministère de la Décentralisation, de la Cohésion et du Développement des territoires)

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