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Société & Culture

Opinion / Entreprendre au Gabon : le contrat, le mépris et la parole rompue

Harold Leckat. © DR

Harold LECKAT IGASSELA : Je suis chef d’entreprise depuis bientôt dix ans. À la tête d’une société gabonaise active dans l’édition, la communication et les médias, j’ai fait le choix d’investir ici, chez moi. Non pas parce que c’était facile. Mais parce que je crois encore que l’économie nationale ne se construira que par ceux qui osent, persistent et s’attachent à créer des emplois au Gabon.

Mais ce choix, je le dis avec gravité, n’est pas soutenu par les faits. Il est souvent puni. Car au Gabon, entreprendre n’est pas seulement un défi commercial. C’est un acte de résistance face à l’instabilité juridique, au mépris administratif et à l’impunité économique.

- Quand l’État rompt la confiance ?

Dans ce pays, il suffit qu’un directeur général d’une entreprise publique soit remplacé pour que tous vos contrats deviennent caducs. Le nouveau décide seul. Il invalide des conventions pourtant signées, validées, parfois homologuées par la direction générale des Impôts. Aucun juge, aucune juridiction. Il décide. Et vous voilà, chef d’entreprise, en défaut devant vos prestataires, vos salariés, vos créanciers. La légalité du contrat ne pèse rien face au bon vouloir du nouveau patron.

- Est-ce cela l’État de droit que nous avons entendu dans le serment du président de la République ? Est-ce là la stabilité promise pour bâtir la Ve République ?

Le piège des impayés et la précarité systémique. Aujourd’hui, des dizaines d’entreprises gabonaises travaillent pour l’État sans jamais être payées. Les retards de paiement durent des mois, parfois des années. Les conséquences sont graves : faillites en cascade, licenciements, gel des investissements, perte de crédibilité bancaire.

Et pourtant, c’est l’entrepreneuriat que l’on invoque à chaque forum, à chaque discours économique, comme pilier du développement. Mais à quoi bon promouvoir l’entrepreneuriat si ceux qui osent sont fragilisés par un système qui se défausse de ses engagements ?

- La communication, un secteur vital… mais négligé

Dans mon secteur – l’édition, la presse, la communication – nous sommes souvent considérés comme accessoires. On nous sollicite pour relayer les politiques publiques, pour valoriser l’image du pays, pour structurer la relation entre institutions et citoyens. Mais quand vient le moment de régler les prestations commandées, les priorités changent, les budgets se volatilisent.

Comment une presse libre et indépendante peut-elle survivre si les contrats passés avec les institutions sont traités avec légèreté ? Comment assurer la continuité d’un média quand chaque projet exécuté devient un combat de recouvrement ? C’est dans ces zones grises que l’économie informelle prospère, que la corruption s’enracine, que l’injustice gangrène l’initiative.

- Un appel au président, à son serment, à sa parole

Le 3 mai 2025, Brice Clotaire Oligui Nguema a prêté serment. Il a dit : "Je m'engage à consacrer toutes mes forces au bien-être du peuple gabonais… à respecter et défendre fidèlement la Constitution et l'État de droit… à être juste envers tous."

Monsieur le Président, le bien-être de ce peuple passe aussi par ceux qui entreprennent. Il passe par la reconnaissance des droits contractuels, par la stabilité des engagements, par la fin des annulations arbitraires et par un cadre juridique qui protège, pas qui punit.

Aujourd’hui, je prends la plume au nom de tous ceux qui créent, mais ne sont pas entendus, de tous ceux qui emploient, mais sont négligés, de tous ceux qui bâtissent sans filet, et tombent sans secours.

La Ve République gabonaise ne tiendra pas sur des discours. Elle tiendra sur la confiance que l’État saura rétablir avec ceux qui produisent, innovent et investissent ici.

Harold Leckat, juriste, chef d’entreprise, directeur de publication de Gabon Media Time.

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