L’Union : Vous avez remporté au mois de juillet dernier à Abeokuta, au Nigeria, la médaille d’argent aux Championnats d’Afrique junior. Était-ce une surprise pour vous ?
- Kenza Falana : Pour être honnête, non. Ce n’était pas une surprise. Une semaine avant le championnat, j’avais battu mon record personnel avec un lancer à 57m50, ce qui me plaçait en tête du classement africain junior et 11e du classement africain senior (World Athletics). J’étais donc partie au Nigeria avec l’objectif clair de décrocher l’or. J’ai d’ailleurs mené le concours pendant une bonne partie de la compétition. Même si j’ai obtenu l’argent, je suis fière car j’ai tout donné, dans des conditions loin d’être optimales.
Une médaille en argent pour votre toute première sélection, est-ce un exploit ?
- Compte tenu du contexte, oui, c’est un exploit. Malheureusement, je n’ai bénéficié d’aucun accompagnement institutionnel, alors que j’avais clairement une chance d’aller chercher la médaille d’or. Tout repose sur les sacrifices de ma mère et le travail de mon coach, Baptiste Lacourt, que j’ai pu rejoindre grâce à mon intégration au pôle d’excellence d’Eaubonne. En six mois, j’ai progressé de 14 mètres. À l’entraînement à Abeokuta, j’ai même atteint 60 mètres.
Au mois de juin dernier, avant les Championnats d’Afrique d’Abeokuta, vous avez sollicité du Comité national olympique une bourse de solidarité olympique. Qu’en est-il ?
- À ce jour, je n’ai reçu aucune réponse. L’an dernier, lors des Jeux olympiques de Paris, j’ai été reçue par les autorités sportives gabonaises à Paris, qui avaient promis sur Gabon24 de m’attribuer cette bourse. En juin dernier, une demande formelle a été transmise via le président de la Fédération gabonaise d’athlétisme au Comité national olympique gabonais. Après ma médaille d’argent à Abeokuta, ma mère a également contacté directement le président du CNOG, et transmis tous les documents. Malgré toutes ces démarches, nous n’avons eu aucun retour. À Abeokuta, le président de la Fédération gabonaise d’athlétisme a même déclaré qu’aucune prime n’était prévue pour moi, alors même que je suis vice-championne d’Afrique junior et détentrice du record national toutes catégories confondues. C’est difficile à entendre après tout ce travail pour représenter le pays à l’international dans une discipline rare.
Le lancer du marteau nécessite forcément un accompagnement financier. Sans financement comment faites-vous pour atteindre vos objectifs ?
- Tout repose sur mes parents. Ils financent entièrement mon parcours : le pôle d’excellence d’Eaubonne, mon coach, les soins, les compétitions, les déplacements, le matériel… C’est très coûteux, surtout dans une famille de six enfants. Ma petite soeur vient d’obtenir son baccalauréat et doit aussi intégrer une école supérieure qui demande un soutien financier de nos parents. Malgré cette lourde charge, ma mère, portée par sa foi, fait tout pour que je puisse continuer, même si cela demande de grands sacrifices. Pour la saison 2026, les frais sont estimés à plus de 6,5 millions de francs, en plus des dettes de la saison écoulée. C’est donc grâce à cet investissement familial que j’ai pu battre les records nationaux juniors et seniors. Mais aujourd’hui, il est urgent que je bénéficie d’un accompagnement institutionnel pour continuer à progresser et représenter dignement le Gabon.
À 18 ans, vous êtes étudiante en licence de psychologie de l’université de Paris-Nanterre. Comment arrivez-vous à concilier sport et études ?
- Ce n’est pas évident. Avant d’intégrer le pôle, je faisais près de 3 heures de transport par jour entre la fac, les entraînements à Antony ou à La Croix de Berny, et le domicile familial à Massy. Depuis que je vis à Eaubonne, c’est plus fluide et plus proche de mon université. Mais l’internat ferme le week-end, ce qui complique ma logistique pour les compétitions. J’ai dû aménager mon emploi du temps, ce qui a légèrement fait baisser ma moyenne de classe de 15 à 14,9. Un logement plus stable et un encadrement médical adapté (kiné, diététicien, médecin du sport, préparateur mental) m’aideraient à mieux équilibrer ma vie d’étudiante et d’athlète de haut niveau.
Un mot de fin à l’endroit des autorités gabonaises ?
- Je lance un appel sincère et humble aux autorités de mon pays. Le Gabon regorge de talents, mais il manque un accompagnement structuré pour les faire éclore. Aujourd’hui, je suis dans une situation urgente : la rentrée au pôle d’excellence d’athlétisme d’Eaubonne est prévue le 2 septembre 2025, dans deux semaines. Sans inscription rapide, je ne pourrais pas poursuivre mes entraînements avec mon coach, ce qui compromettrait ma progression. Je rêve de porter haut les couleurs du Gabon aux prochains Championnats du monde juniors 2026 et aux Jeux olympiques 2028. J’ai la volonté, les résultats, mais il me manque les moyens. J’espère sincèrement que les autorités se pencheront sur mon cas afin que je puisse continuer à m’entraîner dans de bonnes conditions, représenter fièrement mon pays et inspirer d’autres jeunes Gabonais à croire en leurs rêves.
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