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Économie

Marcel Abéké : "La transformation locale du manganèse gabonais générera environ 15 000 emplois industriels directs d'ici 2029"

Ancien ADG de Comilog, Marcel Abeke (g) interviewé par le journaliste de l’Union Hans Ndong Mebale (d) le 24 juin 2025. © DR

L'Union. Le 30 mai dernier, le gouvernement a annoncé, à compter du 1er janvier 2029, l'interdiction formelle de l'exportation du manganèse brut, ressource stratégique dont le Gabon est le deuxième producteur mondial. Une décision qui suscite de vives réactions chez Eramet. Un commentaire ?

Marcel Abéké : Il n’y a pas de raisons particulières de s'inquiéter sur la capacité d'un pays comme le Gabon, un pays souverain, de mobiliser les moyens qu'il faut pour rendre faisable toutes sortes de projets. Aujourd'hui, l'État gabonais, Etat souverain, prend la décision de transformer toute production au Gabon. Les opérateurs doivent donc prendre toutes leurs dispositions pour que d'ici 2029 nous n'exportions que des produits finis. Et il y a déjà des opérateurs qui ont compris ce message ; et c'est dans ce sens qu'on doit tous aller.

Est-ce réaliste ?

Il y a une volonté politique qui s'est exprimée et elle doit être suivie. L'idée est de dire aux opérateurs que ce sont des orientations qui ne datent pas d'aujourd'hui, et cela a été repris de manière constante par les successeurs de feu président Omar Bongo. Aujourd'hui le Gabon transforme du manganèse sur son sol. Mais nous devons faire en sorte que la partie exportée de brut soit inférieure à la partie transformée en local.

Quelles sont les opportunités économiques qu'ouvre cette politique : en termes de création d'emplois, de montée en compétences, de développement d'un tissu industriel local ?

La transformation locale du manganèse gabonais générera environ 15 000 emplois industriels directs d'ici 2029, contre quelques centaines actuellement dans l'extraction brute. Ces emplois concernent des métiers qualifiés : métallurgistes, techniciens de maintenance, opérateurs de fours, contrôleurs qualité, logisticiens spécialisés. Le projet prévoit la formation de 5000 jeunes Gabonais aux métiers de la métallurgie à travers l'Institut gabonais de métallurgie de Moanda et des partenariats avec des universités internationales. 

Cette montée en compétences créera une génération de techniciens et d'ingénieurs gabonais maîtrisant les technologies industrielles avancées. La transformation du manganèse catalysera le développement d'industries connexes : maintenance industrielle, transport spécialisé, services d'ingénierie, fourniture d'équipements. Le complexe de Franceville de NGM et l'extension du CMM de Moanda créeront des pôles industriels régionaux générant un effet d'entraînement sur l'économie locale.

À l'inverse, quels sont les risques d'une transition mal préparée : perte de compétitivité, fuite des investisseurs, surcoûts logistiques ou énergétiques ?

Le déficit actuel de 335 MW sur une demande de 1 039 MW constitue le principal défi. Une transition mal préparée pourrait créer des pénuries énergétiques compromettant la rentabilité des installations. D'où l'importance des projets Kinguélé phase 2 et Dibamba pour sécuriser l'approvisionnement. Les déclarations de Mme Bories illustrent la résistance potentielle d'Eramet. Une approche trop rigide pourrait provoquer le départ d'opérateurs expérimentés avant la mise en place d'alternatives, créant un vide industriel temporaire. Les premiers mois de production transformée pourraient générer des surcoûts par rapport à l'exportation brute rodée depuis des décennies. La courbe d'apprentissage des équipes gabonaises et l'optimisation des process nécessiteront du temps et des investissements.

Des défis logistiques ?

Oui, car le transport de produits transformés (ferromanganèse, silicomang anès e ) ve rs les marchés internationaux exige des infrastructures portuaires et ferroviaires adaptées. Le retard dans ces aménagements pourrait handicaper la compétitivité.

Le Gabon s'inscrit-il dans une dynamique panafricaine où d'autres pays riches en ressources minières mettent fin à l'exportation brute pour favoriser la transformation locale ? Avez-vous des exemples comparables ?

Le Gabon s'inscrit effectivement dans une dynamique continentale de reconquête de la souveraineté sur les ressources naturelles. Cette approche répond aux orientations de l'Agenda 2063 de l'Union africaine prônant l'industrialisation endogène. Comme exemples comparables récents il y a le Ghana, avec l'interdiction progressive de l'exportation de bauxite brute pour développer la transformation locale d'aluminium. Le Zimbabwe qui a mis en place une politique de valeur ajoutée locale obligeant les miniers de platine à transformer au moins 50 % de leur production sur place. Le Botswana, avec l'obligation pour De Beers de transformer 15 % de sa production diamantaire localement à Gaborone et la RDC avec de nouvelles exigences de transformation locale pour le cobalt et le cuivre.

Vous y voyez une coordination régionale émergente ?

Ces politiques nationales convergent vers une stratégie africaine commune de remontée dans les chaînes de valeur minières, soutenue par la Banque africaine de développement et les Institutions panafricaines.

Pensez-vous que cette mesure pourrait rééquilibrer les rapports entre multinationales minières et États africains ?

La décision gabonaise remet fondamentalement en cause le modèle où les multinationales captent l'essentiel de la valeur ajoutée en Europe tout en laissant aux pays producteurs les coûts environnementaux et sociaux de l'extraction. Avec 15 % de la production mondiale, le Gabon dispose d'un levier suffisant pour imposer ses conditions. Cette position de force, combinée à la demande croissante de manganèse pour les batteries et l'acier, inverse la relation de dépendance traditionnelle.

Si le Gabon réussit sa transition, cela créera un précédent encourageant d'autres pays africains à adopter d es p oliti qu es simi l aires . Les multinationales devront alors adapter leurs modèles économiques à cette nouvelle réalité ou céder leur place à des partenaires plus coopératifs. Cette évolution pousse vers des jointventures où les États africains conservent le contrôle majoritaire et où les transferts de technologies deviennent la norme plutôt que l'exception.

À quatre ans de l'échéance, quels sont selon vous les leviers prioritaires que l'État et les industriels doivent activer dès maintenant pour réussir ce pari industriel ?

Il y a des leviers énergétiques immédiats. Dans ce sens, il faudra accélérer des projets hydroélectriques notamment Kinguélé phase 2 et Dibamba. Assurer la sécurisation des financements pour l'infrastructure énergétique. Développer des interconnexions régionales avec la Guinée équatoriale. Rendre opérationnel immédiatement l'Institut gabonais de métallurgie. Multiplier des programmes de bourses spécialisées à l'étranger. Nouer des partenariats urgents avec les universités techniques internationales.

Il faut entamer des négociations fermes mais pragmatiques avec Eramet pour sécuriser la transition. Miser sur la diversification des partenaires industriels (Chine, Inde, Corée du Sud) etc. Oui, c'est pour dire à nos partenaires que cette décision leur donne la possibilité de discuter avec l'État et de s'accorder sur des bases solides de sorte à permettre au Gabon de maîtriser ses richesses issues de son sol et de mieux les gérer. Il n'y a pas de bras de fer à entamer. C'est une décision politique qui doit être suivie.

 

 

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