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Économie

Fabrice Mauriès : "Le processus de transition au Gabon s’est déroulé de manière pacifique, sans contrainte et avec succès "

Fabrice Mauriès : «Nous n’avons joué a aucun rôle dans les évènements du 30 août 2023». ©  Jocelyn Abila

L’Union. Excellence, vous êtes arrivé en octobre 2024 au Gabon en qualité d’ambassadeur de France. Quelle appréciation faites-vous de vos huit premiers mois dans notre pays ?

Fabrice Mauriès : En effet, j’ai pris mes fonctions à un moment clé de l’histoire du pays, marqué par des changements politiques majeurs et une redéfinition de sa trajectoire économique et politique, ainsi qu’une volonté affirmée d’inclusion et d’ouverture. C’était un contexte particulièrement stimulant pour tout ambassadeur, et plus encore pour le représentant de la France, liée au Gabon par une histoire ancienne et des relations profondes, même si celles-ci s’étaient quelque peu distendues avant 2023. J’ai eu la chance de trouver à l’ambassade une équipe remarquable, motivée et pleinement engagée dans l’objectif de reconstruire une relation exemplaire, fondée sur l’intérêt mutuel et la confiance. J’ai également souhaité instaurer, avec mes partenaires gabonais, un lien de proximité, afin que l’ambassade soit la plus accessible possible. Enfin, je me suis attaché à mieux découvrir le pays, ses richesses naturelles et culturelles, même si je dois reconnaître que je n’y ai pas encore consacré tout le temps que cela mérite.

Comment avez-vous jugé le processus de transition au Gabon ?

Nous l’avons jugé très positivement. Au lendemain du coup d’État d’août 2023, la position du président Emmanuel Macron a été claire : accompagner les efforts du CTRI et du président Brice Clotaire Oligui Nguema visant à restaurer les institutions et à préparer des élections inclusives et ouvertes à tous et apporter des conseils lorsque nous avons été sollicités. Ce processus s’est déroulé de manière pacifique, sans contrainte ni effusion de sang, et a abouti avec succès. Nous sommes toujours restés fidèles à cette ligne de dialogue constructif, et nous avons constaté que, progressivement, cette approche était partagée par l’ensemble de la Communauté internationale, comme en témoigne la réintégration du Gabon au sein de l’Union africaine. Nous avons ainsi le sentiment d’avoir été des précurseurs dans cette approche constructive. Les élections législatives qui se tiendront dans les prochaines semaines viendront achever ce processus de reconfiguration politique amorcé il y a près de deux ans. Je ne doute pas qu’elles permettront l’expression d’un choix pluraliste, libre et ouvert.

Le "coup de Libération" du 30 août 2023 a laissé craindre, comme dans d'autres pays africains, une certaine forme de rejet de la politique française au Gabon. La France a-t-elle joué un rôle, de près ou de loin, dans les événements ?

Nous n’avons joué aucun rôle direct ou indirect, de près ou de loin, comme vous le dites, dans les événements du 30 août 2023.

À l’instar des pays comme le Burkina, le Mali ou le Niger, avez-vous l’impression qu’au Gabon, il y a un sentiment "anti-français " ?

S’agissant d’un sentiment anti-français au sein de la population gabonaise, je dois dire que je ne l’ai pas perçu, ni personnellement rencontré. Depuis huit mois, je me suis rendu dans de nombreuses écoles, universités, organisations de la société civile où j’ai toujours pu instaurer un dialogue direct et respectueux, sans aucun tabou. Si ce sentiment existe, ce que je ne saurais totalement exclure, il me semble très marginal. En revanche, je peux comprendre l’expression d’une critique à l’égard d’une certaine politique française en Afrique, une politique qui, d’ailleurs, est également contestée en France depuis longtemps. Le président Macron s’est exprimé à de nombreuses reprises sur ce sujet, notamment dans son discours prononcé à l’Université de Ouagadougou en 2017, au début de son premier mandat. Ce discours a tracé une voie claire, celle d’une politique ouverte sur l’ensemble du continent, fondée sur la non-ingérence, le respect mutuel, des valeurs communes et des relations d’égal à égal. Cette approche est aux antipodes des pratiques qui ont pu exister par le passé. Sommes-nous parvenus pleinement à cette transformation ? Pour certains oui, pour d’autres, du chemin reste à parcourir. Au Gabon, je perçois avant tout une volonté de bâtir ensemble une relation sans tabou, sur des bases plus pragmatiques, tenant compte des intérêts mutuels, et mettant en relief nos préoccupations communes et nombreuses. Je prendrai à dessein deux exemples en dehors du domaine économique. D’une part, la défense et la sécurité, avec la reconfiguration de notre empreinte militaire au Gabon, la consolidation des Écoles nationales à vocation régionale et la coopération militaire bilatérale. D’autre part, la culture et l’éducation, à travers notamment les actions de l’IFG, de l’AFD, les bourses, Campus France, le soutien à l’économie numérique ainsi que la promotion du sport.

recul démocratique voire une "monarchisation" du pouvoir contraire aux valeurs occidentales ?

La monarchie n’est pas forcément le contraire de la démocratie. D’ailleurs, l’Europe compte encore aujourd’hui de nombreuses monarchies. Je me garderai bien de porter un jugement sur l’expression du pouvoir constituant gabonais qui s’est exprimé souverainement en approuvant la Constitution à une très large majorité. Chaque pays dispose de son propre modèle constitutionnel. Certains, comme la France, ont mis beaucoup de temps à définir le leur. Et aucun modèle n’est jamais complètement figé. Il y a d’un côté la lettre des institutions et de l’autre leur esprit, et ces deux dimensions peuvent parfois diverger. La question de l’équilibre des pouvoirs, que vous évoquez, ne recouvre d’ailleurs pas à elle seule celle de la vitalité démocratique des institutions. L’exercice de la participation politique, qu’il s’agisse du recours au suffrage, de la bonne santé des médias, de la vie associative ou de la garantie des libertés publiques, est tout aussi essentiel. Et notre sentiment, depuis les événements d’août 2023, est qu’au Gabon, les évolutions positives se dessinent dans l’ensemble de ces domaine

Avec la montée des puissances asiatiques comme la Chine et l’Inde, comment la France vit-elle la perte progressive de son influence économique au Gabon ? Comment comptez-vous redynamiser les relations commerciales entre nos deux pays ?

Il est heureux qu’il existe au Gabon une véritable concurrence et une émulation sur le plan économique. Mais nos relations ne sont pas forcément placées sous l’angle de la rivalité. Vous mentionnez la Chine, or nous travaillons déjà avec elle en partenaires, par exemple dans le domaine énergétique, et c’est une excellente chose. S’agissant de la redynamisation de nos relations économiques, je tiens à souligner qu’elles demeurent solides, tant sur le plan commercial que dans le domaine des investissements. La France est d’ailleurs très bien représentée, voire en position de leader, dans plusieurs secteurs clés comme le pétrole, le bois, les mines, les infrastructures, le ferroviaire, la distribution, le commerce, ou encore la pharmacie. Pouvons-nous faire mieux ? Sans aucun doute. Dans quels domaines ? Ils sont nombreux. J’en citerai un : le Gabon a besoin de construire de nouvelles infrastructures de services publics, mais aussi de mieux assurer la maintenance de celles existantes, dans de nombreux secteurs. L’offre française dans ce domaine est parmi les meilleures au monde ; à cette fin, il convient de mettre en place des modèles économiques sécurisant l’investissement des entreprises ; la France pourra pleinement accompagner cet effort. Les solutions de financement, publiques comme privées, existent, dès lors que des orientations ambitieuses visant à consolider la situation budgétaire du pays soient prises. Les annonces récentes du gouvernement à cet égard sont encourageantes.

Dans quels secteurs d’activité, la France compte-t-elle, dorénavant, densifier son partenariat économique avec le Gabon ?

La France est une économie de marché, et l’ambassade de France n’a pas vocation à dicter ses choix aux entreprises. Cette question relève donc avant tout des entrepreneurs eux-mêmes. Cela étant dit, je constate que certains secteurs dans lesquels la France compte des leaders mondiaux restent encore insuffisamment représentés dans le portefeuille d’activités des entreprises françaises au Gabon. Par exemple, les travaux publics et le BTP. Je note également que, sous le régime précédent, certaines entreprises françaises ont rencontré des difficultés, notamment dans des domaines essentiels comme es infrastructures de base. Mon rôle, aujourd’hui, est de créer les conditions favorables à leur retour, de les aider à tourner la page de certaines expériences parfois douloureuses, et de les encourager à investir à nouveau, sur des bases plus claires, plus solides et plus sécurisées qu’auparavant. Car au fond, l’objectif est bien de contribuer à générer de la richesse et donc de la croissance pour le Gabon. La France pourra ainsi pleinement s’inscrire dans l’agenda économique de croissance porté par le président Oligui Nguema.

Beaucoup de compatriotes Gabonais se plaignent de plus en plus de la question du visa. Que pouvez-vous nous dire à ce sujet ? Combien de visas ont été accordés en 2024 et combien ont été refusés ?

Cette année, 80 % des demandes de visas de court séjour Schengen déposées ont reçu une réponse favorable. Le Consulat général de France œuvre quotidiennement à l’amélioration de ses performances, tant en matière de traitement, de délais et d’accueil. Nous encourageons également les requérants gabonais à fournir toutes les garanties nécessaires, afin que nous puissions, ensemble, continuer à faire progresser ce taux.

Votre mot de fin ?

Je regrette que le temps nous ait manqué pour aborder certains sujets essentiels, qui constituent d’autres véritables pierres angulaires de la relation entre la France et le Gabon : l’environnement, l’enseignement supérieur, la culture, la défense, la sécurité, ou encore le renseignement. Ce qui unit la France et le Gabon, c’est d’abord une amitié ancienne, des liens humains, économiques et institutionnels profonds. Ma volonté est de m’appuyer sur cette richesse pour corriger ce qui devrait l’être, et faire évoluer cette relation vers un partenariat bilatéral toujours plus équilibré, dans lequel le Gabon a autant à apporter à la France que l’inverse.

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